Reporterre | 16 mai 2025 | Monde
Alors qu’Israël bloque l’arrivée d’aide humanitaire dans la bande de Gaza, ses habitants risquent leur vie pour trouver de la nourriture. Certains tentent de cultiver des fruits et légumes, pour prendre leur destin en main.
Beyrouth (Liban), correspondance
Le 7 mai dernier, Hanine al-Dalo a emmené ses deux enfants, Youssef (8 ans) et Rawaa (5 ans), dans les ruines du centre-ville de Gaza. C’était l’anniversaire de la petite dernière, le premier sans son père, tué dans un bombardement un an plus tôt. L’enfant avait vu sur les réseaux sociaux un snack populaire nommé Al-Taylandy, servant encore des pizzas au milieu des décombres. « Wow, maman, quelle belle pizza ! Cet endroit ne peut pas être à Gaza », s’est-elle exclamée, ayant oublié les joies quotidiennes de la vie d’avant la guerre.
« J’étais submergée par le bonheur de peut-être réaliser un souhait de mon enfant », confie Hanine à Reporterre par WhatsApp. Elle avait économisé pour l’occasion, espérant que les prix soient décents et les passages ouverts. Mais la réalité les a vite rattrapés : la part coûtait 35 shekels (9 euros), quatre fois plus qu’avant la guerre.
Ils s’étaient assis pour manger quand plusieurs bombes ont frappé le restaurant et le marché ouvert dans la rue attenante. Criblés de shrapnel, Youssef a subi une opération à l’intestin, Rawaa a eu la jambe fracturée, et Hanine a été blessée à la poitrine, aux pieds et à la main. « Jamais je n’aurais cru que pour une part de pizza, mes enfants et moi serions jetés dans les hôpitaux de Gaza. » Ce jour-là, 33 personnes ont péri alors qu’elles venaient seulement acheter de quoi manger.
La famine comme arme de guerre
L’histoire de Hanine et de ses enfants illustre le quotidien d’une population piégée dans une bande de Gaza assiégée. Depuis le 2 mars, aucune aide humanitaire n’y entre. Le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC) alerte sur une famine généralisée, tandis que Médecins sans frontières (MSF) dénonce « des conditions pour une éradication des Palestiniens à Gaza », rapportant un triplement des cas de malnutrition sévère en deux semaines.
Alors que le territoire était en grande partie autosuffisant avec 40 % de terres arables, le système alimentaire s’est effondré, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) : 75 % des terres agricoles sont détruites, 97 % des bovins et 99 % des poules pondeuses et poulets ont péri.
« Israël utilise la famine comme arme de guerre depuis dix-neuf mois. C’est un crime de guerre intentionnel », dit Omar Shakir, directeur régional de Human Rights Watch. « Depuis le siège de 2005, Israël ne permet que des quantités minimales de nourriture, pour maintenir les Gazaouis au seuil de la famine ».
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Selon lui, cette stratégie vise à pousser les Gazaouis à l’exil. Israël prépare une nouvelle offensive — les Chariots de Gédéon — pour regrouper les 2 millions d’habitants en un seul lieu, avec une aide au compte-gouttes, avant une expulsion forcée. « Ce serait un nettoyage ethnique, purement et simplement », accuse Omar Shakir.
Une première étape aurait été franchie avec la création de la Fondation pour l’aide humanitaire à Gaza, une structure soutenue par les États-Unis de Donald Trump, mais dénoncée par de nombreuses ONG et l’Organisation des Nations unies (ONU). Ces centres d’aide exclusivement dans le sud de la bande de Gaza seraient utilisés comme « appât », selon cette dernière, pour déplacer la population.
Planter pour survivre
Comment lutter face à cette mort lente qui rôde ? Samar Abo Saffia, la sœur cadette de Hanine, choisit de faire pousser la vie. « Comme on ne trouve quasiment plus rien à manger, j’ai décidé de lancer un projet d’agriculture urbaine dans les camps de déplacés et sur les toits des maisons restantes », dit la jeune agricultrice et agronome de 29 ans.
Elle travaillait auparavant pour le ministère de l’Agriculture et diverses organisations internationales sur des projets pour soutenir les femmes dans les champs. « J’ai réussi à acheter des semences et à les planter dans ma maison, qui a été brûlée quand des soldats israéliens l’ont occupée, mais dont le toit et le jardin sont intacts ».

Déplacée à neuf reprises par les combats, elle a réussi à retourner dans le centre-ville de Gaza avec sa famille pendant le cessez-le-feu, qui s’est terminé en mars dernier, et à stocker quelques conserves.
« On a de quoi manger, grâce à Dieu, mais c’est très peu : hier, je n’ai mangé que la moitié d’un pain et une soupe de fèves, je souffre de graves carences nutritionnelles. Pour moi, la seule solution, c’est de nourrir ma famille avec mes plantes, puis d’élargir ce projet à des camps de déplacés sur tout Gaza. »

Son but, à long terme, serait de mener Gaza à la souveraineté alimentaire, alors que l’agriculture de la bande a été presque entièrement détruite par les bombes et tractopelles israéliennes. Elle a lancé une cagnotte et espère trouver des soutiens face à la menace de la faim et de l’invasion totale. De quoi, aussi, apporter ses plantes à Hanine, Rawaa et Youssef afin de décorer leur chambre d’hôpital.